Paris, mai 2014

 

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Eh bien voilà, nous sommes partis une fois de plus à Paris. Cette visite de la capitale sera la dernière où nous serons hébergés par notre fille cadette. En effet celle-ci doit déménager sous peu (quelques mois), étant appelée sous d'autres cieux.

Paris : ce nom résonne dans notre cœur, à ma femme et à moi-même, car cette ville nous accueillit jadis. Nous y séjournâmes une dizaine d'années, entre 1970 et 1980 environ. Nos deux aînés y naquirent. Auparavant nous nous étions rencontrés, étant arrivés chacun de notre côté. Nous étions alors dans les premiers temps de notre existence d'adulte.

Beaucoup de bons moments me reviennent en mémoire... beaucoup de passages difficiles également... et puis en fin de compte le désir latent, finalement concrétisé, de ne pas s'éterniser dans la frénésie parisienne et de l'épargner à nos jeunes enfants.

On a tout plaqué - maison, boulot pour ce qui me concerne - et on est parti vivre ailleurs. Ce fut une opération mûrement réfléchie. Au bout du compte elle nous apporta bien des satisfactions, mais les premières années en province furent laborieuses dans tous les sens du terme... c'est l'inévitable domino de la vie, noir et blanc, mais bon, du moment que le blanc domine...

Paris, mai 2014. Échouage à la gare de Lyon au terme d'un voyage au cours duquel la SNCF et les RFF réunis se sont encore fait négativement remarquer : retard habituel du train (une demi-heure!), mais aussi carence de communication à la gare de départ : affichage modifié, à l'insu des usagers, obligeant ceux-ci à se précipiter vers les nouveaux repères de quai dans les dernières minutes... annonces par haut-parleur inaudibles... quand elles sont audibles, elles sont couvertes par le grelot strident d'une sonnerie signalant le passage d'un convoi... absence de tout personnel sur le quai... quand on en aperçoit un, il sort discrètement (sans uniforme) d'un bureau, cigarette à la main, visiblement pour prendre le soleil... et puis à la fin de l'étape le sempiternel "Veuillez nous excuser de notre retââârd"...
Tout compte fait, en oubliant volontairement quelques secondes tous les avantages professionnels dont jouissent les employés du chemin de fer, faut-il leur pardonner ou bien leur taper dessus?... à tous ces gosses demeurés qui continuent de jouer au "petit" train?...

Paris, mai 2014. Premier contact dans les derniers kilomètres du voyage avec cette lèpre - la multitude de tags - qui pourrit et salit les abords des métropoles, essentiellement sur les bâtiments et infrastructures longeant les voies ferrées. Autrefois l'environnement était gris comme aujourd'hui, mais il était plus propre.

Paris, mai 2014. Second contact dans la cité intra-muros par le biais du métro. Paris-bis, mais en souterrain, pareille aux coulisses d'un théâtre en l'absence desquelles le vivant théâtre de Paris n'existerait pas.

Je demeure fasciné par la multiplicité des individus rencontrés, l'infinie variété des visages et des expressions. Dans les couloirs bruyants c'est une cohorte ininterrompue de gens qui vous croisent ou vous dépassent. Des têtes photographiées par votre cerveau; instantanés qui se perdent immédiatement et à jamais dans les boyaux carrelés du dédale. A l'intérieur des rames silencieuses, vous côtoyez durant quelques minutes d'autres êtres; des vies qui se côtoient certes mais ne se partageront pas. Chacun mène son existence, jouit d'une satisfaction, souffre de ses problèmes. Mais quels sont-ils ces problèmes, ces satisfactions? Peut-on les pressentir au travers des apparences affichées? Tel doux visage d'une adolescente rêveuse... tel grave portrait buriné d'un vieillard... telle conversation dont on saisit quelques bribes... tel vêtement révélant un peu le caractère de celui qui le porte... tel... tel... téléphones portables et tablettes tellement utilisées, à la place des journaux d'autrefois, isolant un peu plus leurs utilisateurs... Ouverture brutale des portes à une station, déversement d'une foule et son remplacement par une autre, tandis que le vacarme des quais envahit l'intérieur du train... Adieu à tous, j'ignore où vous fuyez, vous ne savez où je vais, vous que j'eusse aimés, vous qui le saviez, aurait songé Baudelaire...

Un des avantages de Paris réside dans l'anonymat et la banalisation qui en découle. Je suis vêtu d'un blouson de coupe ancienne, encore en très bon état, et d'un jean qui, lui, en revanche accuse l'âge. Ma foi ça passe très bien, n'étant pas le seul habillé ainsi. Par contre les vêtements de ville sont assujettis à la mode : pour les femmes, jeans ultra moulants, soulignant la joliesse de leurs formes mais certainement pas très confortables, ou bien jupes très courtes, voire shorts; les pieds sont logés dans des ballerines, des chaussures de sport, ou des bottines à talon (vertigineux), ou encore des bottes, exceptionnellement des cuissardes. Pour les hommes le sinistre costume noir, gris ou bleu acier, veste spencer, pantalon étroit tire-bouchonnant sur des chaussures pointues agrandissant inélégamment le pied; fréquemment la veste est remplacée par un blouson plus ou moins près du corps... Si je m'habillais ici d'un de mes costumes de là-bas, assez classique, je me sentirais vieux, mais vieux... donc feu vert pour l'accoutrement que j'ai adopté!

Un des inconvénients de Paris réside dans la cherté légendaire du foncier. Cela a toujours été ainsi mais j'ai le sentiment qu'aujourd'hui l'esprit de lucre, la perversité et l'imbécillité  pulvérisent les pics de jadis. Nous nous sommes attardés devant une ou deux agences immobilières pour constater qu'avec le prix de notre maison relativement vaste, nous pourrions nous payer du côté du Luxembourg ou du parc Monceau... un studio de vingt cinq mètres carrés. Un appartement de cinq pièces vaut dix fois notre même maison. Ne nous attardons pas sur le sujet; je n'écris pas ici pour "faire du social".

Nous n'avons pas "fait les cartes postales". Entendez par là que ma femme et moi, sur l'heureuse initiative de celle-ci, avons tenté de découvrir un Paris secret, intime, méconnu ou peu connu des Parisiens eux-mêmes. Bien plus, dans des endroits célèbres, nous sommes allés à la recherche du petit détail architectural, humain... ou de l'ambiance qui se dégage du lieu. Nous n'en étions pas d'ailleurs à notre coup d'essai, ayant déjà abordé la capitale lors de nos précédentes visites dans cette optique confidentielle.
Je n'innove en aucune façon en confirmant que Paris est une agglomération harmonieusement aménagée, d'une part par l'extrême abondance de ses immeubles et édifices de tout style, ces derniers mis en valeur à l'aide de spectaculaires perspectives, et d'autre part par l'intégration au fil des âges des anciens villages périphériques (Montmartre, Charonne, Passy...) qui ont su malgré tout conserver un peu de leur âme et de leur originalité.
Ajoutez à ceci l'activité quasi incessante (hormis peut-être les heures médianes de la nuit et encore...) qui veut que vous trouverez à tout moment tout ce que vous voulez (dixit Joe Dassin), et pas qu'aux Champs Elysées. Certes les temps ont changé et les très vieux Parisiens se souviennent d'une époque que j'ai dû effleurer... "Paris que j'aime et qui n'est plus... le temps où les gars avaient si grand coeur qu'on n'voyait que lui aux trous des chemises..." s'exclame Serge Reggiani dans "Paris ma rose". La poésie du Paris populaire et fraternel, évoquée par Carné, Doisneau... certainement magnifiée à l'excès, s'est amenuisée. On la retrouve un peu dans la bande dessinée "Jérôme K.J. Bloche" de Dodier. On la trouve sûrement encore chez le quidam de la rue qui, spontanément vous propose de vous renseigner lorsqu'il vous devine embarrassé, arrêté sur le trottoir, compulsant votre plan-guide. Tel ce passant qui nous assura que "c'était là, la première rue à droite" tandis que nous recherchions la romantique et discrète Place de Fustenberg et... que nous ne lui avions pas adressé la parole!
Amabilité chez les commerçants et prestataires divers - auprès de qui bien des gens de province devraient prendre une leçon ! - à l'intérieur des brasseries, des magasins... pardon madame, pourrais-je simplement prendre en photo la grande verrière du Printemps? Même question aux Galeries Lafayette et même réponse affable. Idem au mythique restaurant Le Train Bleu à la gare de Lyon pour enregistrer sur mon capteur et sur ma rétine les fabuleux plafonds surchargés de fresques et de colonnades sculptées, rappelant l'atmosphère du train légendaire Paris-Marseille, lequel a donné son nom à l'établissement... Pour mémoire, furent des habitués de cet endroit Coco Chanel, Jean Cocteau, Colette, Jean Gabin...
J'ai cité pas mal de noms célèbres. Je continue avec Apollinaire, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Jacques Prévert... assidus du Café de Flore à Saint-Germain-des-Prés. Nous passâmes et repassâmes devant en vue de nous imprégner du climat littéraire, sans toutefois nous arrêter prendre un verre.

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"Chrob ou chouf" (Bois et regarde) : cette maxime est inscrite sur le fronton d'une fontaine de Marrakech. Sans la prendre forcément au sens littéral, j'essaie de me l'approprier. Boire... c'est-à-dire goûter la vie, miel ou fiel, ensuite regarder... autrement dit vivre intensément quand il fait beau dans le coeur bien sûr, mais aussi quand il y fait noir et que l'orage gronde... "ça également ça passera", faut-il se dire...
"Passent les temps et passent les semaines
Ni le temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine"

Je n'en sais guère plus sur Apollinaire que ces quatre vers qui retiennent particulièrement mon attention du fait de ma persistante sensibilité au symbolisme (les lieux et l'univers qui "parlent" au-delà de ce que l'on peut imaginer). Faut-il de plus préciser que je vécus à Paris non loin du pont Mirabeau? Tout se devine à défaut de s'expliquer rationnellement...

Ne pas ratiociner, traverser avec exaltation les étapes de la vie. Le mariage... nous en aperçûmes deux à l'occasion de séances de photos, le premier sur les toits du Printemps qui offrent un spectaculaire panorama (j'y reviendrai). Les "novis" étaient-t-il indiens? maghrébins? Je l'ignore... ils étaient beaux et souriants, ils "buvaient" la vie, pareillement au joyeux et tout récent couple asiatique flashé sur le Champ-de-Mars avec en fond de décor la Tour que l'on connaît.

Avant le mariage, l'espiègle et fantaisiste jeunesse symbolisée (?) par trois adolescentes près de la place de la République, déambulant avec un tutu vivement coloré par-dessus leur jean...

A n'importe quel moment de la vie, l'épreuve, comme par exemple la paralysie... et en dépit d'un certain mal-être inhérent aux grandes métropoles, ici à Paris (comme ailleurs dans le reste de la France) l'esprit solidaire (rappelons-nous le quidam de la rue) se réveille et s'exprime. A travers cette fête de quartier, en faveur des handicapés, laquelle s'était mise en place au square du Temple avec stands et baladins.
Et encore la mort, l'inévitable fin du parcours, curieusement dénuée d'effroi au cimetière du Père-Lachaise où Chopin à la tombe abondamment fleurie réside non loin de Géricault dont le sépulcre s'orne d'une de ses plus célèbres oeuvres, gravée en façade. Certes la mort demeure, mais "civilisée" (pour ceux qui restent vivants) grâce au bel écrin de verdure qu'est le cimetière, plus jardin que cimetière...
Jardins... parcs... Paris est bien pourvue en ce domaine... Paris non plus symboliste mais romantique cette fois-ci. Fuyant, conformément à notre "optique confidentielle", les monumentaux espaces verts, nous nous attardâmes sur des havres de fraîcheur de petite ou moyenne dimension, le square Georges Caïn par exemple, derrière le musée Carnavalet. Celui-ci assemble quelques pelouses arborées autour d'un nu féminin central, en bronze, bien cambré et mettant en valeur une poitrine menue. L'originalité vient surtout des pierres anciennes réparties çà et là, dont l'une serait une décoration frontale rescapée partiellement de l'incendie qui détruisit le Palais des Tuileries lors de la Commune. Joli square respirant le calme malgré les témoins de drames dont il est entouré.

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Autre repaire discret et secret, les jardins Albert-Khan situés à la limite de Paris, à Boulogne-Billancourt. Qui est Albert Khan? Un financier et mécène qui créa diverses Fondations pour favoriser la compréhension entre les peuples. Sans compter ses actions sociales, il mit en place une série d'expéditions au début du 20° siècle en vue d'inventorier les richesses civilisationnelles de la planète et d'en ramener un fonds d'images photographiques, certaines en couleurs, les fameux autochromes. Dans les jardins qui portent son nom, on se balade au sein de son ancienne propriété, passant en quelques enjambées du village japonais au jardin anglais après avoir traversé la forêt vosgienne. Ilots de chlorophylle, loin des rumeurs citadines, ces espaces se souviennent-ils que, jeunes mariés nous résidions à Boulogne et nous venions souvent les dimanches promener notre fille aînée dans son landau?
Romantisme des jardins sous-entend bien entendu ombrages arborés dissimulant des statues mythologiques ou de personnalités oubliées. Eh bien celle dont je vais parler, ignorée de la foule, m'apparut alors que je levais le nez sur une façade de la rue de Courcelles. En fait elle rappelle au souvenir un personnage pragmatique, Pedro Vicente Maldonado qui travailla avec La Condamine sur la géodésie terrestre. Leurs travaux sont à l'origine du nom "Equateur" donné au pays... Paris secret, intime... qui nous réserve des surprises, des occasions d'apprendre...
Paris... dont le caractère cosmopolite et la vocation multiculturelle se confirment par la localisation toute proche de Monceau, de la cathédrale orthodoxe Saint-Alexandre-Nevski. Ce dimanche où nous la côtoyâmes, nous eûmes l'occasion d'assister brièvement et silencieusement à un office religieux sous les coupoles enluminées protégeant une foule recueillie, visages féminins couverts, signes de croix inversés, répons aux sonorités à mi-chemin du chant grégorien et des incantations judaïques ou musulmanes. Pourquoi s'égorger quand on prie le même Dieu? même de manières différentes?...
Il est une église où il ne nous fut pas loisible de rentrer, celle de Saint-Germain au "village" de Charonne, à l'Est de Paris. Quartier populaire, jadis réputé pour ses maisons de campagne appartenant à des Parisiens aisés et pour ses estaminets en plein air, les courtilles. Il ne reste plus grand-chose de l'ambiance d'antan, l'église au clocher ramassé en signe d'excessive humilité, la rue principale Saint-Blaise, couloir sans charme réel, la double voie ferrée désaffectée de la Petite-Ceinture où les trains ne passent plus à la gare transformée en cabaret... Souvenir marquant : une plaque, scellée sur un modeste immeuble de la rue Vitruve, informe que la chanteuse Barbara séjourna ici une partie de sa jeunesse. Charonne, non loin du boulevard périphérique, éventré par la bruyante rue de Bagnolet, n'a pas su tenter de préserver son âme, contrairement à d'autres villages. Ou alors ne l'avons-nous pas apprécié, étant arrivés à une heure peu propice de l'après-midi?
Deux autres après-midi s'avérèrent plus clémentes, en des lieux bien différents. Ai-je déjà écrit que je suis séduit par des espaces plats, linéaires, aérés? Si de surcroît le soleil est de la partie, j'ai la sensation de me trouver dans une immense cour de récréation invitant au jeu, à la détente, à une explosion de vie... les premières années de jeunesse, sur l'aire carrelée devant mon immeuble de Rabat, une partie de jokari ou de foot avec des copains, les murs blancs réfléchissant la lumière, le ciel azuré, la tiédeur des douces heures, l'infini en une surface limitée... J'ai retrouvé d'une manière diffuse ces sensations dans un endroit parisien aux dimensions décuplées : au Pont d'Arcole, tournant le dos à l'Hôtel de Ville et nous dirigeant vers Notre-Dame. A gauche le profil de l'île Saint-Louis nimbé d'imprécision par les rayons solaires et le chahut citadin; à droite la Conciergerie facilement reconnaissable. Ce n'était plus mes comparses d'école autour de moi, mais une foule anonyme... et surtout les miens... et j'étais bien. Mieux que le nabot Léon qui franchit naguère un autre pont d'Arcole, d'une façon moins paisible.
Autre vaste environnement, dont j'ai parlé précédemment et où je précisais que "j'y reviendrais". Nous y voici... les terrasses sur les toits du Printemps permettant de jouir d'un panorama à 360 degrés sur la capitale. Eclairage typique d'Ile-de-France durant cette journée avec un ciel grisounet et ennuagé. Qu'importe ou plutôt tant mieux, car mettant en valeur l'architecture de la ville, dotée de ses édifices altiers, flèches, coupoles, dorures, dentelles de pierre, statues... Paradoxalement ce sont autant de solides piliers semblant supporter le ciel dans son apparente déprime, l'empêchant de s'affaler sur les couvertures zinguées des immeubles. Dans cet univers un tant soit peu irréel, onirique oserais-je dire si les bruits de circulation, neuf étages au-dessous, ne nous parvenaient pas assourdis, nous prenons la fantaisie de déguster un chocolat chaud, sur la terrasse extérieure de la cafétéria... Là aussi nous étions bien...
Je visitai pour la première fois "ma ville-lumière" en 1959 à l'âge de douze ans. Appellation usurpée car à cette époque, Malraux ne s'étant pas encore signalé, les façades des maisons étaient grises et sales. Je reconnais maintenant, ce que je n'avais pas voulu faire dans mon enfance, avoir été déçu par les nuances ombrées des constructions, si différentes de "mes maisons blanches" marocaines. Les lieux changent, en mieux par certains aspects, en moins bien par d'autres. Les caractères aussi... Ce ne fut pas toujours la tendre complicité entre nous deux et même de nos jours, comme on aura pu le lire, je ne t'idéalise pas. Et cependant Paris à chaque fois j'aime bien te retrouver... nous avons tant de souvenirs à nous confier...

(Copyright Jean-Michel Cagnon).

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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