Le Philosophe
Mon ami le philosophe est passé au mas à l'heure où les dernières lueurs du jour sont remplacées par celles des réverbères. Moment propice aux confidences dont il voulut bien me faire part:
"Je crois que la vie est une succession de naissances, de résurrections et de morts. J'entends par ces termes le fait qu'au fil de multiples expériences nous vivons des moments vivifiants, suivis de périodes d'abattements auxquelles succéderont des renaissances, elles-mêmes suivies de déserts et de souffrances.
De toutes ces étapes, nous conservons pour certaines des souvenirs qui parfois se diluent avec l'âge. Pas tous cependant, les plus marquants demeurant indélébiles.
Cette somme d'expérimentations participe en partie à l'élaboration de notre affectivité, fruit de souvenirs, de souvenirs de souvenirs, de souvenirs de souvenirs de souvenirs, de réminiscences, de ressentis, d'intuitions déductives. Une telle "bouillie", sorte de chyme intellectuel, s'enrichit ainsi tout au long de notre cheminement existentiel.
A l'heure où je mourrai, je voudrais emporter avec moi toute cette "bouillie" et plus particulièrement une double sensation de chaleur.
En premier lieu la chaleur émotionnelle, synthèse des flux d'amour et de tendresse que j'aurai reçus et que, tant bien que mal, j'aurai donnés. Avec l'inévitable regret de n'avoir pas su plus donner, mieux donner.
En second lieu la chaleur physique et, plus particulièrement, la chaleur du soleil sur ma peau, dont je ne me lasse jamais. Par un retournement des choses, le propos que j'exprime actuellement à cette heure crépusculaire, me ramène à un souvenir précis: celui de cet après déjeuner d'il y a plus de soixante ans au cours duquel, à Rabat, sur l'avenue des Touargas au niveau de la grande mosquée As-Sunna, nous attendions, ma mère, moi-même et mes petits copains et copines, le passage d'une calèche pour nous emmener à la plage. J'avais autour de cinq ans, plutôt moins que plus mais j'étais déjà sensible à l'écrasement amical du Phébus marocain, autrement plus puissant qu'en Provence, heureusement tempéré par les embruns de l'océan. Cette image, un peu égocentrique je le concède, je voudrais bien l'emmener avec d'autres dans mon bagage pour ailleurs mais... je ne suis pas pressé de fermer la valise!!"
Sur ce, il m'a chaudement serré la main, puis est reparti dans son univers.
©JM Cagnon (Septembre 2016)
Date de dernière mise à jour : 26/11/2016
Commentaires
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- 1. dalmau Le 21/11/2017
Grâce à une infirmière libérale du programme ASALEE '(association d'action de santé libérale en équipe) que m'a fait connaître mon médecin référant, je découvre avec un immense plaisir et beaucoup d'émotion, entre autres dans votre série "une vie fantastique", votre texte "le philosophe". Voici ce que m'a écrit cette infirmière que je rencontre régulièrement et avec qui j'échange énormément :
http://evene.lefigaro.fr/livres/livre/francoise-heritier-le-sel-de-la-vie-766553.php
Voici un grand esprit qui a célébré les petites choses ....vous y reconnaitrez votre jolie prose sur les moments magiques ...:)
Merci pour votre texte qui questionne et qui apaise, et qui fait vivre un moment magique, celui de cet enfant de 5 ans qui attend la calèche pour aller à la mer.
Toutes mes félicitations à vous qui écrivez et à votre ami qui "informatise" pour le plus grand bonheur de qui a la chance de vous découvrir.
Gaby DALMAU 25000 BESANCON-
- cagnonjmLe 21/11/2017
Je suis très sensible à votre double appréciation, la vôtre et celle de l' infirmière, et je vous en sais gré. L'écriture demeure pour moi la tentative d'amorce d'un dialogue avec autrui. Quelle que soit la réaction du lecteur - favorable ou pas - je n'ai pas laissé ce dernier indifférent et c'est l'essentiel. Oui, ce "philosophe" qui a accepté de se livrer par le biais de petites choses, comme vous écrivez, peut éventuellement accéder avec celles et ceux qui le lisent à une sorte de bonheur fugace. Un moment partagé... tellement important!
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