Mort à Rabat
(Avertissement: les principes de physique énoncés dans cette nouvelle sont à considérer avec réserve, les données étant exactes au départ, puis quelque peu travesties par l'imagination de l'auteur.)
Mon ami très cher est mort. A Rabat. On ne connaît pas exactement les circonstances de son décès. Tout au plus peut-on dire qu'il s'y attendait, voire qu'il le souhaitait bien que sa santé fût excellente.
En tant qu'ami et confident, je puis cependant affirmer que les causes de sa mort sont indépendantes d'une quelconque dégradation physique. Mais laissez-moi, si cela vous intéresse, vous conter l'histoire et commencer par le commencement.
Robert IXE (Rixe pour les intimes dont j'étais) était savant. Un sacré cerveau. Astrophysicien de formation, il s'était spécialisé dans la recherche sur la conception de l'univers. Directeur d'une unité au sein d'un laboratoire d'Etat, il s'était fait remarquer par sa sagacité hors du commun, son extraordinaire esprit de synthèse et sa capacité à diriger efficacement une équipe. " Un nouvel Einstein " chuchotait-on en parlant de lui, ce qui l'indisposait fortement, ayant su rester modeste. Il s'était d'ailleurs fait apprécier du public, avec son sens de la vulgarisation scientifique et sachant, avec une extrême pédagogie, rendre les théories les plus complexes abordables à l'homme de la rue.
J'avais fait la connaissance de Robert il y a quelques années à Paris, à l'occasion d'un cocktail suivant l'une de ses conférences. Etant moi-même inculte dans son domaine de prédilection qui m'a cependant toujours fasciné, et possédant quelques bribes de connaissances acquises dans des lectures personnelles, je lui avais fait part de mes pauvres réflexions qu'il avait eu l'amabilité de prendre en considération.. Cela le changeait-il des commentaires oiseux de ses admirateurs? Toujours est-il que nous avions sympathisé et que, sur son invitation insistante, nous nous étions revus plusieurs fois pour en discuter. Nos échanges devaient ressembler à des propos entre un précepteur et son élève attentionné, mais la gentillesse naturelle de Robert avait su gommer cette barrière et j'avais fini par devenir son confident, comprenant ce qui m'était accessible scientifiquement c'est-à-dire peu de chose, mais partageant complètement ses doutes, ses enthousiasmes, bref son humanité.
J'avais noté chez lui ces derniers temps un changement d'humeur. Chaque visite rendue me le faisait percevoir de plus en plus soucieux, les deux rides médianes des sourcils davantage creusées, le regard parfois perdu on ne sait où avec une indicible tristesse émanant continuellement de son visage. Que se passait-il?
Il avait fini par m'avouer qu'il avait enfin " trouvé ". Trouvé quoi? le questionnai-je. Trouvé " la " théorie et surtout vérifié mathématiquement. Quelle théorie? Celle qui explique l'univers et les autres. Einstein et ses prédécesseurs avaient formidablement déblayé le terrain. Mais lui, Robert, avait su tirer parti des nombreux successeurs et, aidé par ses collaborateurs, était parvenu à synthétiser l'ensemble des résultats en un cadre où cosmogonie et métaphysique se rejoignent et se complètent.
Ne nous abusons pas. Robert n'était pas pour autant devenu le grand architecte du cosmos et il n'expliquait pas Dieu. Sa théorie offrait de nombreuses réponses (notamment au problème de la masse manquante dans l'univers). Elle ouvrait de fantastiques perspectives à l'homme, mais elle suscitait aussi, tout comme les précédentes, de nouvelles interrogations. En un mot elle bouleversait. Hors du champ scientifique, elle pouvait aussi gêner certains milieux industriels en ce sens qu'elle remettait en cause leurs intérêts et leurs positions chèrement acquises. Et cela Robert l'avait immédiatement compris. Quoique sa découverte ne fût pas divulguée au grand jour et restât confinée dans l'enceinte de son laboratoire, des indiscrétions avaient inévitablement fusé, probablement par l'intermédiaire de ses collaborateurs, et ce d'une façon involontaire: une parole qui échappe dans une conversation... Et mon ami sentait poindre des menaces. Mais n'anticipons pas.
Avant de continuer, je voudrais, cher lecteur, vous initier à cette théorie, bien maladroitement j'en conviens, car mes lacunes scientifiques sont immenses. Au même titre que la fameuse équation E=mc2 caractérise Einstein, Robert avait globalisé sa théorie dans une formulation mathématique, y= f(eta), un sigle pour Fonction (Espace Temps Astrophysique). Phonétiquement, cela se prononce " Ephéta ", évocation de l'épisode biblique où le Christ, introduisant de la terre mélangée à sa salive dans les oreilles d'un sourd, lui ordonne en araméen " Ephéta ! ", c'est-à-dire " Ouvre-toi ! ". Ouvre-toi à l'extérieur, entends et écoute ton environnement. Et le miracle a lieu. Le sourd perçoit.
Tout comme je le laissais entendre tout à l'heure, mon ami avait su rapprocher religion et science sans bien entendu les faire coïncider, ce qui est, tout le monde en est persuadé, impossible. Grâce à de puissants moyens informatiques, son équipe avait décrypté d'obscures révélations inscrites en filigrane entre les caractères de nombreux écrits religieux: d'abord les Veda, les Brahmanas et les Upanishads des religions de l'Inde ancienne; puis les textes Bouddhistes, enfin les Bibles juive et chrétienne, et le Coran. En passant, les recherches avaient apporté un éclairage sur l'imprononçable et mystérieux tétragramme YHWH désignant le Dieu de la Bible, coutumièrement transcrit " Yaveh ". Partant d'anciens dialectes celtes, puis anglo-saxons, l'on avait conclu sur l'Anglais contemporain et sur une expression utilisant les quatre lettres - " You Herein Will Hope " - que l'on peut traduire en Français par " Aie confiance ici-bas ".
Robert avait en quelque sorte effectué une restructuration mentale du concept universel en y mettant sa touche personnelle assortie de son génie. Je n'ai pas la prétention, cher lecteur, de vous expliquer la théorie " Ephéta ", mais je souhaiterais cependant vous sensibiliser à cette vision sommaire de l'univers revue et corrigée par Robert. Vous êtes prêt? Nous allons quitter notre planète bleue qui, est-il besoin de le rappeler, s'avère être une insignifiante brindille dans l'immensité du cosmos.
Et d'ailleurs qu'est-ce que le cosmos? Pour les physiciens modernes, il serait constitué de matière et d'énergie, lesquelles sont semblables et peuvent se transmuer à la façon d'un feu de bois où le combustible perd progressivement de sa masse et fournit par contrecoup de l'énergie sous forme de lumière et de chaleur. Masse et énergie sont équivalentes et se mesurent en même quantité (en volts). L'une et l'autre ne sont jamais figées. Elles représentent en fait des différentiels d'états (matériels ou énergétiques ou les deux à la fois). Bref pour faire une analogie à l'électricité, elles représentent des différences de potentiel, des tensions. Dans un univers en évolution permanente, rien ne se perd, rien ne se crée. Imaginons une plage de sable parfaitement lisse et horizontale représentant le niveau " néant " de l'univers à son origine (avant le big-bang le temps et l'espace n'existent pas: c'est le " zéro " absolu que l'on ne saurait concevoir avec notre petite cervelle). Creusons un trou; immanquablement nous créons un talus de déblais. Si l'on regarde maintenant à ras du sol, nous observons une dépression, l'énergie négative à partir de laquelle s'est constitué le talus qui représente de la matière et de l'énergie positive. De la même manière qu'il existe deux électricités, il y a des énergies positives (telles que l'énergie potentielle d'un ressort que l'on tend de plus en plus) et des énergies négatives (telles que le magnétisme qui diminue au fur et à mesure que l'on éloigne deux aimants). Analogiquement il existe des univers positifs et des univers négatifs qui, lorsqu' ils se frôlent s'annihilent (matière et anti-matière, énergie et anti-énergie), un peu comme un bulldozer qui comblerait une immense tranchée.
En fait l'univers que nous percevons sous forme de matière et d'énergie n'est qu'une vision tronquée de quelque chose de beaucoup plus vaste où domine le phénomène vibratoire, lui-même issu de la mathématique pure. Nous en avons ici-bas quelques connaissances fragmentaires. Le phénomène vibratoire, c'est les pulsations de notre coeur, le rythme musical, l'alternance du jour et de la nuit, les ondes électromagnétiques parmi lesquelles la radio et la lumière, le son qui est une pression suivie d'une décompression de l'air... Le phénomène mathématique, c'est la disposition logarithmique du coeur de la fleur de tournesol, fleur cosmique puisqu'obéissant au soleil, c'est l'enroulement régulièrement spiralé de la coquille d'escargot, c'est la série statistique d 'événements équationnellement traduite par la courbe de Laplace-Gauss et qui sous-entend que le hasard n'est pas si hasardeux que cela...
Matière, énergie, espace... jusqu'à présent nous n'avons pas abordé, cher lecteur, une composante intrinsèque de l'univers qui, il y a encore quelques décennies paraissait immuable et en fait ne l'est pas: il s'agit du temps. Eh oui le temps lui-même varie et deux individus placés en situation nettement différenciée ne vieillissent pas à la même allure selon leur localisation et la vitesse à laquelle ils évoluent. Rien n'est constant dans ce cosmos en transformation continue où les galaxies s'éloignent les unes des autres à une vitesse accélérée.
Imaginons quelqu'un partant de la Terre dans une fusée très rapide, à une vitesse proche de celle de la lumière (300 000 km/seconde). Cette personne voyage très loin, disons pendant un an de son temps propre (à elle). A son retour sur Terre des centaines d'années se seront écoulées !! Pourquoi? Laissez-moi, cher lecteur, vous initier au préalable au concept de la " quantité de mouvement ", exprimé en physique par le produit mv (masse par vitesse). Un ensemble physique immobile, donc sollicité par aucune force extérieure a bien évidemment une quantité de mouvement nulle (mv = 0). C'est le cas d'un canon inutilisé. Chargeons-le d'un boulet et tirons. Aucune force extérieure à cet ensemble physique (canon plus boulet) n'intervient. Par contre des forces intérieures vont propulser le boulet d'un côté et le canon de l'autre (le fameux recul). La quantité de mouvement de l'ensemble canon/boulet demeure nulle. Elle est constituée de la somme des deux quantités de mouvement - égales entre elles mais opposées - intrinsèquement liées au canon et au boulet qui, chacun d'entre eux, ont bien reçu une force extérieure (l'explosion de la poudre). Autrement dit mv (canon) + mv (boulet) = mv (canon/boulet) = zéro. Donc en valeur absolue, sans tenir compte des signes algébriques, mv (canon) = mv (boulet).
Revenons à notre astronaute. Il s'agit du même phénomène. D'un côté la quantité de mouvement propre à la Terre, déterminée par Mv (masse énorme et vitesse de recul infime). De l'autre côté la quantité équivalente de mouvement de la fusée exprimée par mV (masse ridicule et vitesse fantastique). Or qu'est-ce que la vitesse? C'est le rapport d/t (distance sur temps). Donc " v " (vitesse de la Terre) a un numérateur " d " très faible (c'est vrai, le recul est négligeable) et un dénominateur " T " très fort (des centaines d'années). A l'inverse " V " (vitesse de la fusée) a un numérateur " D " très fort (c'est également vrai, la fusée s'en va loin) et un dénominateur " t " très faible (une seule année). Voici pourquoi l'astronaute à son retour ferait la connaissance de ses arrière-arrière-arrière... petits-enfants. Cette situation a déjà été expérimentalement vérifiée dans les accélérateurs de particules où ces dernières ont une durée de vie propre très courte, comparée à la durée de l'expérience (correspondant au temps terrestre).
Il apparaît que la vitesse elle-même est une notion très relative. On parle de déplacement, de vitesse à notre échelle terrestre, parce que, voyez-vous cher lecteur, nous avons des repères fixes. Dans l'espace plus rien de cela puisque tout bouge. Donc plus de vitesse, plus d'immobilité. On adopte le terme de " glissement " des corps (étoiles et planètes) entre eux.
La plus grande vitesse de déplacement possible dans notre espace-temps est celle de la lumière (phénomène vibratoire se propageant à 300 000 kilomètres par seconde). Elle est liée aux constituants même de notre univers et ne peut pas être dépassée. Pourquoi? Supposons deux messieurs, un costaud et un malingre, chacun muni de la même corde. A un signal donné tous deux lui impriment un mouvement d'oscillation, c'est à dire que la corde va vibrer en serpentant autour de son axe horizontal avec des bosses et des creux d'égale longueur. Il est facilement démontré dans n'importe quel ouvrage de physique que la vitesse de propagation de cet ébranlement est égale au produit de sa longueur d'onde (longueur de deux bosses, une pleine, une creuse) par la fréquence (nombre d'oscillations en une seconde). Monsieur Costaud agitera fortement la corde, dessinant de nombreuses oscillations très courtes et rapprochées. Monsieur Malingre agitera mollement la corde, faisant seulement apparaître quelques oscillations, très allongées. Les vitesses de propagation des ébranlements des deux cordes seront les mêmes, l'une dotée d'une petite longueur d'onde et d'une haute fréquence, l'autre affectée du caractère inverse. Le vide interstellaire de notre univers est en quelque sorte constitué de cette texture de corde enjoignant à la lumière sa vitesse limite.
Je ne saurais finir, cher lecteur, avec ces considérations générales déjà connues sans aborder le sujet de la gravitation, laquelle nous permettra de déboucher sur " la " découverte de Robert IXE. La gravitation (attirance des corps entre eux, selon l'observation de Newton et de sa légendaire pomme) est, d'après Einstein, une propriété relative à l'espace, non aux corps célestes. Un corps animé d'une vitesse accélérée voit sa masse augmenter. Il " pèse " donc dans l'espace comme une boule posée sur un tapis souple. Créant par conséquent un creux sur le " plancher spatial " il attire d'autres corpuscules gravitant autour de lui. Ces corpuscules, même s'ils ont un déplacement linéaire constant, par le fait qu'ils tournent autour du corps principal, subissent une accélération (sinon ils s'écraseraient contre le corps principal par l'absence de force centrifuge). Ayant une accélération, ils provoquent à leur tour autant de creux attirant des mini-corpuscules, et ainsi de suite. C'est le principe entre autres du système solaire avec son cortège de planètes et de satellites. Les trajectoires des planètes et des satellites sont des ellipses car l'ellipse est le plus court chemin pour aller d'un point à un autre dans l'espace-temps.
On en arrive à la notion d'espace-temps courbe où la lumière elle-même peut être déviée à l'approche de certains corps particulièrement " pesants " qui ont crevé le " plancher spatial ". Il s'agit des célèbres trous noirs sur lesquels avait travaillé Robert IXE. Les trous noirs exercent une dépression fantastique au point de tout retenir prisonnier, corps célestes divers, ondes électromagnétiques y compris le spectre visible de la lumière, s'aventurant dans leurs parages. D'où leur nom de trous noirs, puisque la lumière n'est pas réfléchie et qu'on ne peut pas les voir à l'oeil nu. Ces voraces de l'espace n'ont pas une masse originelle énorme, mais elle est hyper-concentrée par le simple fait que les forces internes retiennent toute chose. Un cosmonaute s'aventurant près d'eux subit un ralentissement du temps (il vieillit moins vite) et une accélération de sa vitesse (il " tombe " de plus en plus rapidement dans le maelström). Mais si la vitesse augmente et que le temps diminue, en vertu du principe de la conservation de l'énergie, cela sous-entend que la distance augmente. Et comment expliquer une grande distance dans une toute petite masse autrement que par l'existence d'un autre univers? Quelques trous noirs répertoriés par Robert IXE (dont un ou deux proches de nous) sont donc des portes d'entrée de l'au-delà, et servent de balances d'équilibre pour les échanges d'énergies entre univers de même signe. Les autres, mieux vaut les éviter car l'on s'annihilerait à leur contact ! Bien plus, Robert IXE avait découvert que les univers ne sont pas tous formés des mêmes constituants et que dans certains " ailleurs " la vitesse de la lumière peut être dépassée... et de loin !
Enfin il était arrivé à la conclusion que notre univers (et les autres voisins) est fait à l'image de notre corps humain. Il est en expansion comme le corps en croissance d'un enfant, mais cela n'est pas éternel. Que fait-il après? Vieillit-il? De toute façon à ce stade de gigantisme le temps (si tant est qu'on puisse encore parler de temps) est incommensurable au point de faire paraître comme une billevesée les 4,5 milliards d'années écoulées depuis la naissance de notre planète.
A l'instar du corps humain, notre univers est limité tout comme la peau limite notre organisme. Mais il est également infini en ce sens qu'un microbe peut se déplacer perpétuellement à l'intérieur de nous-même ou sur notre peau sans emprunter deux fois le même chemin. L'univers peut par ailleurs varier sa géométrie, tout comme un corps changeant de posture.
Notre univers n'est peut-être pas aussi " grand " que peuvent nous le laisser croire nos télescopes. Reprenons l'image du microbe à l'intérieur de notre corps. Il peut recevoir plusieurs messages en provenance d'un seul émetteur, par exemple un gargouillis de l'estomac. Cette onde sonore lui parvient en ligne directe, mais également par les innombrables " canaux " de notre organisme et qui se comportent comme autant de caisses de résonance. Le microbe en déduit qu'il y a autant d'estomacs que de messages. Dans l'univers, c'est la même chose: la lumière peut emprunter de multiples conduits pour arriver jusqu'à nous, par suite de la courbure de sa trajectoire, et générer ainsi des images fantômes d'un seul et même astre. Robert IXE et ses collaborateurs avaient encore du pain sur la planche avant d'avoir terminé une nouvelle carte du ciel !
Pour en terminer avec cette analogie physiologique, cher lecteur, et en vue d'avoir une image concrète des trous noirs, imaginez un homme faisant don de son sang à sa compagne. Simultanément il l'embrasse tendrement sur la bouche. Eh bien voilà deux trous noirs: le conduit buccal et la perfusion sanguine. Un microbe facétieux sort du corps de la femme par la bouche, entre dans l'homme, profite de ce que dans cet univers la vitesse de propagation de la lumière atteint 800 000 kilomètres/seconde, puis retourne dans la femme par la voie sanguine. Il sera revenu à son point de départ sans avoir pratiquement vieilli.
Vous l'aurez deviné, cher lecteur, les travaux de Robert IXE apportaient enfin une solution aux problèmes des déplacements interstellaires et de leur durée incroyablement longue. Songez qu'à la vitesse de la lumière, il faudrait tout de même quatre ans pour atteindre Proxima du Centaure, l'étoile la plus proche de nous. Grâce à Robert et à sa découverte d'un trou noir non loin de la planète Uranus mais bien au-dessus du plan de l'écliptique, l'on disposait d'un proche accès vers un autre monde " lointain " et ses richesses énergétiques. Rappelons que ce trou noir perturbe, modérément il est vrai, l'orbite d'Uranus dont l'irrégularité avait été jadis partiellement expliquée par le voisinage d'une planète inconnue à l'époque (Neptune), finalement localisée en 1846 par l'astronome Le Verrier. Cependant quelques incongruences mathématiques demeuraient, définitivement abolies par la révélation du trou noir.
Seulement, comme il fallait s'y attendre, tout cela était loin de satisfaire quelques groupes industriels internationaux, soit pétroliers, soit spécialisés dans la conception de fusées à moteur conventionnel. Leurs carnets de commandes risquaient d'être réduits à néant à court terme. Car Robert ne s'était pas contenté d'établir sa théorie Ephéta. Il était également parvenu à faire construire un prototype d'engin de transport à moteur basé sur la technologie de l'énergie libre et des vortex. Il avait aussi conçu les scaphandres appropriés aux futurs voyages, aptes à résister à de terribles contraintes mécaniques. Tous ces travaux réalisés confidentiellement n'étaient rien d'autre que la concrétisation des découvertes de Nikola Tesla, sciemment occultées depuis des décennies par les milieux scientifiques et politiques, car remettant en cause trop de principes bien établis dans notre société.
Je passe sous silence les multiples avatars, pièges et tentatives d'assassinat qu'a dû affronter Robert. Cela est sans intérêt. Il s'était attaché les services d'un garde du corps. Las de cette existence de traqué et des efforts intellectuels intenses assumés sans relâche depuis des années, il avait décidé de se ressourcer en retournant dans sa ville natale, Rabat, qu'il n'avait pas vue depuis trente ans !
Au terme de deux heures de vol, le jet atterrissait sur le tarmac de l'aéroport Rabat-Salé. Toujours flanqué de son agent de protection, il avait pris un taxi et redécouvert non sans émotion le site de Rabat depuis la vallée du Bou-Regreg, avec au lointain à sa droite les éternelles barques de pêcheurs et de passeurs assurant la traversée du fleuve entre Salé et la capitale. Au premier plan, dominant le plateau sur lequel est bâtie la ville, la Tour Hassan et le Mausolée Mohammed V. Et puis tout au fond, se détachant à contre-jour du ciel lumineux, la forteresse des Oudaïas. Il irait la visiter dans quelques jours, pensait-il; c'était son repère favori autrefois, havre de paix avec ses fières murailles couronnées de nids de cigogne. Celles-ci enserrent un coquet jardin-andalou et un café maure aux innombrables recoins ombragés dominant la plage.
Mais pour l'heure il lui tardait de retrouver la rue de son enfance passée entre le musée des Antiquités et l'immeuble de la radio.
Le voilà sur place. L'endroit n'a pas changé ou si peu. Là, une villa existait auparavant, remplacée par un immeuble résidentiel. Mais le musée demeure, toujours abrité derrière une haie de résineux. Sur le trottoir, un groupe d'enfants l'accoste et l'un d'entre eux, en qui il croit se revoir gamin, le fixe particulièrement. A ce moment, selon le témoignage du garde du corps éberlué, tout se passe très vite. Le décor de la rue s'estompe, puis redevient net mais avec quarante années de recul ! La villa disparue a réintégré sa place et les autos en stationnement, la plupart des Renault, datent des années soixante: Dauphines et R8. Le gamin en question touche Robert et celui-ci s'effondre, foudroyé, les lèvres figées en un sourire innocent.
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PS: Dernière nouvelle de la part de l'agent de protection: le décès a eu lieu il y a un bon mois, mais Robert (ou son sosie) aurait été vu récemment dans Fifth Avenue à New York, arpentant le trottoir d'un air décidé. C'est le garde du corps qui, en nouvelle mission à Manhattan, l'a rencontré avec la stupéfaction que l'on devine. Le garde l'a abordé. Il avait l'air en parfaite santé et en possession de toutes ses facultés, mais visiblement ne se souvenait de rien. Etait-ce un sosie, ou bien Robert qui, ayant involontairement frayé de trop près avec un univers parallèle, avait mis un terme à sa vie antérieure en se libérant de sa mémoire et de ses périls? Je vous quitte, cher lecteur, car je prends sous peu l'avion pour New York afin de tenter d'élucider le mystère.
(copyright Jean-Michel Cagnon).
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021
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