Ca se passe dans les Landes...
... c'est un roman de jeunesse que je relis tous les dix ou quinze ans.
L'action se passe dans les années 70 et le livre a été écrit 20 ans plus tôt. Il s'agit d'une oeuvre d'anticipation pour ne pas dire de science-fiction. Mais une science-fiction élégante, dépouillée de tout jargon technique car ce n'est pas là l'essentiel.
Nous voilà donc dans la ville de Suzan en plein coeur de l'immense forêt du sud-ouest français. Suzan est une création ex-nihilo d'environ mille habitants, bâtie volontairement à l'écart de toute présence humaine et vivant en parfaite autarcie. Ses belles constructions blanches et ensoleillées, en dehors des quartiers pavillonnaires, abritent un vaste centre de recherche en vue de la conquête de la Lune.
C'est ici qu'arrive un jeune garçon d'une douzaine d'années, Michel Jousse, en compagnie de son père ingénieur. Notre jeune personnage va s'acclimater très vite à ce décor insolite et s'adonner, en compagnie de quelques camarades de classe, à un fabuleux jeu de piste au sein de ces espaces où alternent bâtiments et étendues sylvestres. Ils sont au courant de bien des choses, côtoyant quotidiennement un rucher spationaute vibrant de concentration. N'observent-ils pas en outre les fameux astrosphères - des sortes de soucoupes volantes (Agnès et Brigitte) plus performantes que les traditionnelles fusées - dont les vrombissements à faible altitude confinent à l'apocalypse? Mais bien des interrogations demeurent: c'est pour quand cette conquête lunaire? Et dans quelles conditions? Et, pour Michel Jousse, cette lancinante question: emmèneront-ils des jeunes? Car un pilote, ami de son père, lui a imprudemment laissé entendre, sous un assaut de sympathie, qu'il pourrait bien se dissimuler dans l'équipage. La conquête aura lieu en fin de compte, avec succès, grâce à deux nouveaux astrosphères (Céphise et Danaé) et à la sensationnelle innovation technique de "l'atmosphère alourdie". Mais sans Michel Jousse, lequel se fait une raison et espère une probable mission future. Il découvrira peut-être sa Porte des Etoiles, accident de relief imaginaire sur la Lune, sans réaliser que cette porte existe déjà sous la coupole de tous les télescopes...
"La Porte des Etoiles" de Paul Berna (de son vrai nom Jean Sabran) est en fait un roman d'humanité, dans un cadre parfois d'espièglerie que Michel Jousse laisse de temps à autre de côté pour aborder le monde des adultes et ses mystères. Style sobre. Décor sobre. Présence féminine à peine évoquée (nous sommes dans un univers d'hommes typique des fifties). Description minimaliste de Suzan et ses équipements. Le scénario se focalise autour du jeune pré-adolescent, qui a cru et se trouve déçu sans pour autant tomber dans l'amertume.
A découvrir et redécouvrir par les jeunes et les grandes personnes qui n'ont pas honte de faire un grand bond en arrière dans le temps. Dernière précision troublante: l'alunissage se passe en 1970 et la mission Apollo 11 s'est déroulée avec succès en 1969. Curieuse prémonition d'un roman écrit en 1950...(aux Ed. Rouge et Or avec de belles illustrations de Guy Sabran, frère de l'auteur).
Deux autres romans "adultes" m'ont pareillement frappé par l'évocation d'une réalité oserais-je dire virtuelle. J'entends par là des situations bien concrètes évoluant dans un climat inconsistant où surviennent des faits inhabituels.
Le premier, c'est "L'homme de sable" de Jean Joubert, lequel obtint le Prix Renaudot 1975. L'histoire tourne autour d'un projet de ville à construire aux confins de la Camargue, qui n'aboutira jamais. Le narrateur se promène au sein de constructions inachevées en forme de pyramide (comme La Grande Motte?). Il a connu et sympathisé avec l'architecte de Callages (c'est le nom de la ville). Celui-ci a disparu à la suite de circonstances tragiques. Le chantier qui avait bien démarré a été par la suite retardé par de mystérieux "vents" contraires ayant pour origine vraisemblable une sourde opposition locale de la population et peut-être bien de la nature. L'ami de l'architecte, témoin neutre de cette aventure, revient sur les lieux et décide d'y rester, adopté par les gens du coin. Le lecteur est invité à vivre dans un univers de sable et de sel, de silence, de manades; on devine la mer toute proche et sa capacité à diluer toute chose. Le livre est un constat. Libre à chacun d'interpréter les faits.
Le second, c'est "Mai 86" de Jacques Sternberg, édité en 1978. Ironie du romancier? 86 est un anagramme de 68... En tout cas le scénario a pour cadre une autre révolution, d'une plus grande ampleur. Au départ un couple vit au bord de la mer, s'adonnant aux plaisirs balnéaires. Image idyllique? Non, cauchemar car ce lieu s'avère un ultime refuge aux confins d'une terre dévastée et polluée. Tout est empoisonné au point - entre autres - qu'on doit se baigner dans une combinaison étanche et que les avions ne peuvent plus voler! Comment en est-on arrivé là? L'auteur de ce roman sinistrement visionnaire dénonce des circonstances humaines récurrentes dont j'ai essentiellement retenu le laisser-aller, l'inconscience, la corruption et l'appât du gain. L'histoire finit tragiquement, le couple solitaire étant emporté dans un nouveau drame, l'invasion d'extraterrestres qui va forcer l'humanité à s'unir pour lutter. L'issue de la guerre n'est pas précisée...
Je note pour finir que ces trois romans ont pour toile de fond commune l'isolement des êtres, la nature plus ou moins bienveillante et une mer plus ou moins proche ainsi que des circonstances qui, à l'échelle du personnage principal, le dépassent ou l'asservissent. Interprétation pessimiste de notre condition? Possible, mais une fameuse incitation néanmoins à jouir au possible de ce que l'existence veut bien nous accorder...
(Copyright Jean-Michel Cagnon - janvier 2019)
Date de dernière mise à jour : 31/01/2019
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