Bravo Monsieur Franquin
Je voudrais m'attarder, par le biais d'un dessin, sur le génie de André Franquin et sa qualité du dessin. Personnellement je préfère la période où il a dessiné Spirou et Fantasio, peut-être parce qu'elle correspond à ma jeunesse, mais surtout par la lisibilité remarquable de son graphisme malgré la foultitude de détails. Ultérieurement son dessin, du temps de Gaston, va devenir de plus en plus "fouillis" accompagné de personnages caricaturaux à l'extrême avec des membres fluets et des grosses têtes que j'apprécie moins.
Revenons à la période Spirou et examinons le dessin qui ouvre l'épisode de la "Quick Super". L'ambiance urbaine des années 50-60 est extraordinairement bien reproduite avec son agitation et son culte rendu à l'automobile. Un garage moderne, immense et étendu, dont on devine que sa construction a détruit des bâtis anciens. Ceux qui demeurent semblent repoussés au loin, encadrant une rue passante dans laquelle on devine un camion bâché Renault et une Volkswagen Cox stoppés au feu rouge et cédant le passage à un camion et une 15CV Citroën. Observez le "réalisme" des enseignes: grand magasin Monopol, cinéma Rio... au premier plan le garage Quick - Genial Motors - Ets (avec le "E" à moitié décroché) R. Content. Etonnez-vous devant le climat toujours d'actualité évoqué par l'immense placard "Je ne lave plus, je teins mon linge en blanc" déclamé par une femme au sourire éclatant. Attardez-vous devant les multiples détails des façades: encadrements des fenêtres, balcons, cheminées, chéneaux, antennes de télé... Idem pour le mobilier urbain: signaux, lampadaires...ou bien installé sur les trottoirs: pompes automatiques carburant 4 temps (jaunes) et 2 temps (rouges)... les détails des vitrines du garage, l'escalier d'accès à l'étage. Enfin amusez-vous à analyser les attitudes des différents personnages, depuis le directeur à gauche dictant du courrier à une invisible secrétaire jusqu'au piéton trouillard à droite... en passant par le conducteur de la Chevrolet verte commandant de l'essence, le gamin à la vitre de cette même Chevrolet, les contacts verbaux des quatre personnes devant l'entrée du garage, le couple s'attardant devant la vitrine des nouvelles Quick, la foule traversant la rue... et aussi, scène quasi invisible, à l'étage, de part et d'autre de l'enseigne Quick, une jeune femme rêvant à sa fenêtre observée par un collègue visiblement amoureux (les petits cœurs qui encerclent sa tête)... Pour revenir à l'auto, remarquez la jolie reproduction d'une DKW-auto Union et d'une décapotable rouge dont on ne voit que le conducteur de dos et la planche de bord, sans oublier bien sûr la merveilleuse Turbotraction qui s'apprête à virer à gauche, manœuvre annoncée par le clignotant et le bras de Fantasio hors portière comme cela se pratiquait à l'époque... Franquin était très doué pour dessiner la ville et les autos, moins pour la campagne où les végétaux étaient plus sommairement croqués. Il inversera la tendance au temps de Gaston, représentant la ville polluée et suggérant de tendres champs cultivés ceints d'arbres très chlorophylliens. Il est avec Hergé, Jacobs, Martin, Craenhals et tant d'autres l'ambassadeur de l'école belge de la BD, dite de "la ligne claire". Chapeau bas Monsieur Franquin !!
Voici maintenant un dessin extrait de l'épisode "Les pirates du silence" qui se passe encore dans les années 50/60. Spirou et Fantasio évoluent dans un environnement urbain radicalement opposé au précédent, une ville ultra-moderne construite ex-nihilo. Dessin dans lequel on perçoit là aussi le culte rendu à la reine auto. Large boulevard à deux voies, plus du tout de piéton. L'architecture reflète les conceptions de Charles-Edouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier: immeubles béton sur pilotis, larges surfaces vitrées, fontaine futuriste, espaces gazonnés et arborés, passerelle piétonne (vide). L'enseigne de gauche surmontant un bâtiment, "Héliopolis", exprime très bien l'ambiance de la cité où le soleil est roi. On pressent une communauté de riches: Banque Crésus et autos cossues: une Facel Vega (jaune), une Mercedes (rouge), une Alfa Romeo (blanche) reconnaissable à sa calandre étroite caractéristique (bravo M. Franquin pour votre minutie et votre souci du détail), une berline (rose) dont je ne reconnais pas la marque et enfin la Turbotraction de nos héros. Seule présence humaine visible hormis Spirou et Fantasio: deux ou trois silhouettes au premier étage de la banque. C'est net, propre, ensoleillé, aéré... un tantinet glacial. Cependant les images suivantes de la BD montrent des vues de villas et de jardins qui me rappellent un peu le climat résidentiel de l'Agdal à Rabat et démentent en partie cette dernière sensation désagréable. C'est en tout état de cause une image annonçant une péripétie à laquelle devront faire face nos héros, péripétie qui aurait pu difficilement se produire dans une scène urbaine populeuse comme la précédente.
(Copyright Jean-Michel Cagnon - Février 2015)
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021
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