Sérénade

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C'est un petit village au pied du massif du Luberon. Le calcaire lactescent et les chênes rabougris se disputent le soleil. La nuit ils se réconcilient et se fondent en une masse opaque. La montagne ressemble alors à un énorme fauve ramassé sur lui-même, à l'affût sous la clarté lunaire.

Le village est niché dans un recoin du massif. Les anciens se souviennent des carrières qui étaient exploitées. Témoignent de cette époque d'immenses falaises verticales à la base desquelles se risquent à pousser d'audacieux figuiers.

Les marteaux des carriers se sont tus. Les falaises enserrant le village résonnent aujourd'hui d'un autre labeur, la musique. L'été, des concerts en nocturne sont donnés dans l'esplanade emmuraillée, transformée pour la circonstance en auditorium naturel. On y est bien.

Soir de générale. Fin de soirée. Presque minuit. Tout le monde se repose des derniers préparatifs qui ont occupé l'équipe pendant plusieurs heures. Quelques spectateurs privilégiés ont suivi en silence cette ultime grand-messe, au sein de cette cathédrale de pierre, décorée par moments de fugitifs vitraux évoqués par les taches des projecteurs.

De quelques spots demeurés éclairés jaillissent des cascades inversées de lumière. Elle rase la pierre, exalte son grain, puis va se perdre dans la trouée du ciel étoilé. L'air est tiède. La scène est obscure.

Un pianiste, jeune, le regard perdu ailleurs, joue. Il joue comme jouerait un enfant insouciant. Les doigts habiles effleurent à peine le clavier. Les cheveux indisciplinés frémissent sous les hochements de tête appuyant un passage affirmé. La musique monte à l'assaut de la lumière et se mélange infiniment à elle.

Une violoniste l'accompagne, blanche sous la lueur diffuse qui tempère l'ombre. Blanc son corsage, blanche sa minijupe, blanches ses jambes, blanches ses chaussures ballerines, brun son violon. Celui-ci sautille de note en note, facétieux vis-à-vis du piano pontifiant.

L'un et l'autre s'accompagnent, se frottent, se repoussent, se perdent en vrilles, s'entremêlent, se perdent de nouveau pour mieux se retrouver. Une parade nuptiale avec pour témoins les cigales. Elles se sont tues, pour mieux entendre l'inhabituelle mélodie de ces lieux d'ordinaire déserts.

Pas un souffle de vent. C'est à peine si on ose soi-même respirer. Si le paradis n'existe pas sur terre, il faut croire qu'il a fait une entorse au règlement cette nuit-ci...

La lumière est brutalement coupée. Panne de secteur? Peu importe. Nul ne se lève pour aller vérifier. La musique, elle, continue sous le doigté inspiré des exécutants. Il semble que rien ne puisse l'arrêter dans sa course harmonieuse.

Il semble aussi que dans l'ombre, deux poètes séduits par le lieu viennent de se joindre discrètement aux spectateurs. Le premier, Alphonse, qui méditant au bord d'un lac demanda jadis au temps de suspendre son vol. Il est ce soir, exaucé. Le second, Alphonse également, sorti de son moulin du côté de Fontvieille, pour sentir une fois encore la magie nocturne des ciels de Provence.

(Copyright Jean-Michel Cagnon)

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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